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« Ils ont monté ça pour faire une chaîne »

Yves Rivoiron, à la tête du Café des Fédérations pendant vingt ans, faisait partie de l'ancienne association des "Authentiques bouchons lyonnais", opposés aux bouchons labellisés. Il est le premier à s'être dressé contre la "mainmise des bouchons par Christophe Marguin et Joseph Viola", le premier à dire non au label et non aux obligations. Comme il l'affirme : "On sait faire, on est là depuis 20, 30 ans. Avant toute chose, un bouchon c’est une âme, on ne peut pas quantifier une âme." 

 

Attablé au Bouchon Colette, tenu par Françoise Pupier, la fille de Colette Sibilia, Yves Rivoiron déguste une assiette de charcuterie et se remémore les années dans son bouchon. Il a vu défiler à ses tables Jane Birkin, de nombreux politiques dont Bruno Le Maire, l'équipe des guignols... 

Il dénonce des bouchons actuels qui ont perdu de leur authenticité : "Les bouchons lyonnais ont évolué, c’est normal. A l’époque, c’était le mâchon, aujourd’hui, c’est presque devenu de la bistronomie." 

A Lyon, le mâchon était un casse-croûte pris le matin vers 9 heures par les ouvriers de la soie, comme un en-cas conséquent, après une matinée de travail commencée très tôt.

Il ne cache pas son opposition au label : "C’était pour faire une chaîne, d’ailleurs l’instigateur de cette association aujourd'hui il a trois bouchons." Pour lui, ce label : "C’est politique. C’était uniquement pour que Marguin soit président, d'ailleurs les Toques blanches c’est de la grosse salade aussi". 
L'apparition du label n'a jamais pénalisé son établissement : "J'ai déjà ma clientèle et mon chiffre d'affaires a toujours progressé."

 

C'est aussi l'avis d'Alain Vollerin, critique gastronomique lyonnais et auteur du Guide officiel des bouchons non labellisés qui déjeune avec Yves Rivoiron ce jour-là. D'après eux, le label n'a jamais permis d'éviter le développement des attrape-touristes mais plutôt d'en créer : "Y en a qui sont complètement has-been et qui sont labellisés."

Françoise Pupier est neutre, car "je connais tous les patrons des bouchons, ma maman les servait à la charcuterie tous les jours" (Colette Sibilia, charcutière des Halles de Paul Bocuse) et n'a donc pas souhaité s'exprimer sur le sujet. Dans le référentiel, on découvre pourtant que la Maison Sibilia est l'un des onze producteurs ayant reçu la plaque de "Fournisseurs privilégiés" des bouchons labellisés.

Comptoir en bois, carrelage années 1950 et gros néons nous replongent dans le siècle dernier, nous voici dans le bouchon Chez Hugon. Lorsque je rencontre Arlette Hugon, elle concocte du boudin aux pommes dès 10 heures pour deux hommes déjà à table. Comme à l'époque du mâchon. 

Pour Arlette Hugon, le problème ce n'est pas Christophe Marguin. Elle a été reconnue mère lyonnaise par le Trophée Vin et gastronomie en 2016 dont il était le président.

"Le problème, c'est celui qui est derrière tout ça, Joseph Viola qui veut être le roi des bouchons alors qu'il n'est jamais derrière ses fourneaux."

 

A ses débuts en 1968, cette mère lyonnaise cuisine dans une brasserie. Puis, elle atteint le sommet avec la reprise du bouchon rue Pizay, en 1985, alors l'un des tout premiers bouchons lyonnais.

Connue jusqu'au Japon (une télé japonaise est venue la filmer dans son bouchon), elle affirme ne pas avoir besoin du label. "Aussitôt qu'il y a une télé à Lyon, ils s'intéressent à un bouchon comme nous, typique." 

Elle ne se reconnaît pas dans leur cuisine, trop moderne et considère que tout le monde peut intégrer cette association. "Ils sont charmants, je les aime tous mais ce sont des hommes d'affaires qui ont créé des bouchons. Ce ne sont pas des vrais gens de bouchons, comme me disait toujours Bocuse quand il venait manger "Toi, tu as une tête de bouchon"."

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D'après elle, le label n'interdira jamais les restaurateurs de mettre "Bouchon lyonnais" en enseigne même s'ils n'en sont pas, les touristes se feront avoir quand même. Depuis trois ans, elle a racheté le logo des "Authentiques bouchons lyonnais", provenant de l’Association de défense des bouchons lyonnais naît sous l’impulsion du journaliste gastronomique du Progrès, Pierre Grison, en 1997.

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Christiane Mounier, autre mère lyonnaise m'accueille avec un petit ballon de vin blanc au sein de son bouchon Chez Mounier, rue des marronniers . A la tête de son établissement depuis 1985, elle ne veut pas faire partie du label. "Je les ai tous les critères, pourquoi j'aurais besoin de payer pour avoir un label ?"

Le problème du label, d'après elle, c'est que cela donne le droit aux restaurateurs de faire des menus plus chers. Elle a des clients des Etats-Unis, d'Australie, de Chine, et affirme que le bouche-à-oreilles est le meilleur moyen d'avoir des clients. "Ils le savent les clients quand c'est bon, ils n'ont pas besoin qu'on leur dise.En revanche, si tout le monde venait à être labellisé un jour, elle ne serait pas contre. "Tout le monde serait au même niveau, ce serait aux clients de juger ce qu'est un vrai bouchon."

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Mais tous les restaurateurs ne sont pas contre ce label "Bouchons lyonnais". C'est le cas d'Olivier Canal, qui a repris les rênes du bouchon la Meunière, une institution presque centenaire, avec son ami Franck Delhoum en 2014. Oliver Canal a fait ses armes au restaurant L'Alizée aux côtés de Mathieu Viannay, actuel chef de La Mère BrazierLe label, il ne l'a pas encore mais avoue que cela lui ferait augmenter son chiffre d'affaires de 15 à 20 %. "C'est un peu compliqué car il y a deux associations, une vivante, une morte et j'ai des amis des deux côtés. Mais il y a  un réseau qui m'intéresse malgré tout professionnellement."

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Malgré ces combats de coqs, les bouchons mettent toujours autant l'eau à la bouche. Si ces derniers ont évolué avec le développement de la capitale rhodanienne et la massification du tourisme, ils restent une véritable mémoire de la ville. Certains faussaires qui se sont accaparés la cuisine lyonnaise et des nouveaux chefs lyonnais prédisant la fin des restaurants traditionnels n'ont pas encore terni la réputation des bouchons lyonnais.

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Retrouvez les vidéos des restaurateurs dans le diaporama ci-dessous. 

Olivier Canal, bouchon la Meunière

“Le label fait partie de la CCI, il y a un réseau qui se construit autour, qui m'intéresse 
professionnellement.” 

 

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