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A Lyon, les chefs étoilés ont remplacé les mères lyonnaises qui ont fait la réputation gastronomique de la ville, mais l’authenticité n’a pas cédé le pas. La cuisine populaire reste accrochée à ses traditions. Nombreux sont les bouchons proposant des spécialités locales.
La capitale des Gaulles en compte 27 labellisés officiellement "Bouchons lyonnais".

C'est sous l’égide de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) et de l’Office de tourisme de Lyon que le label "Bouchons lyonnais" a vu le jour en novembre 2012 avec l’association éponyme. Lancée par Christophe Marguin, alors président des Toques blanches et Joseph Viola, Meilleur ouvrier de France, le label se veut "être garant de l'excellence à la lyonnaise".
Ainsi, les bouchons détenteurs du label se retrouvent dans le dépliant en libre-service à Only Lyon...

Depuis, une petite guerre se joue entre les bouchons labellisés et les absents des listes remises par l'Office de tourisme pour avoir refusé le label "officiel". Ils sont 23 bouchons lyonnais à se dire "vrais bouchons" et ont même leur Guide officiel des bouchons lyonnais non labellisés.
Leur revendication : "Pourquoi un Meilleur ouvrier de France et le président des Toques blanches ont mis le nez dans nos affaires ?" Et pourtant, les deux clans ont un objectif commun : défendre la réputation de la gastronomie lyonnaise à l’aune de la massification du tourisme. 

Alors ce label, vrai garant de la tradition lyonnaise ou véritable business ? 

La salad lyonnaise

Bouchon-pizza ou bouchon-couscous 

A l’origine du conflit, deux personnalités de la vie lyonnaise : le chef Christophe Marguin, président des Toques blanches lyonnaises, à l’époque du lancement du label et président de la commission Tourisme à la CCI, et Joseph Viola, Meilleur ouvrier de France et à la tête de trois bouchons Daniel & Denise. En 2012, ils décident de créer ce label pour garantir la tradition lyonnaise. Autrement dit, se débarrasser des attrape-touristes qui se sont développés dans la capitale rhodanienne. 

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Joseph Viola et Florence Perrier, vice-présidente de l'association à la tête du bouchon Le Café du peintre depuis dix ans, s'accordent à dire que les pseudo-bouchons fleurissent à Lyon, proposant tous sauf des spécialités lyonnaises. "Imaginez qu'un étranger arrive dans un bouchon non-labellisé et qu'il tombe sur une pizza. Il va se dire "la cuisine lyonnaise je pensais pas que c'était ça"". En se baladant sur la Presqu'île, on découvre effectivement un bouchon spécialisé dans les moules, un autre, dans le Vieux Lyon spécialisé dans la fondue...

Joseph Viola m'accueille fièrement avec un pâté en croûte sur la table (dont il a été champion du monde en 2009), un livre sur la cuisine canaille et la plaque du label "Bouchons lyonnais". Il ne manque pas de me faire visiter son restaurant et de me présenter toutes les plaques aux noms des grands chefs affichées au mur de Daniel & Denise.

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Les réfractaires au label ? Un problème d'égo 

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Le chef m'explique que pour rentrer dans l'association ce n'est pas toujours simple. Il martèle : "ce n'est pas du copinage et il y a un cahier des charges". Le restaurant doit se soumettre à un audit, réalisé par un cabinet indépendant, basé sur un cahier des charges rigoureux. Il remettra ensuite un rapport permettant au bureau de l'association de labelliser ou non l'établissement demandeur. L'audit doit se repasser tous les quatre ans. Selon lui, les trois critères importants pour être accrédité de ce label "qui a une belle plaque émaillée (il la montre plusieurs fois) et qui est, évidemment recommandé par la CCI et l'office de tourisme de Lyon" : la cuisine "canaille, emblématique de Lyon", un chef diplômé "il faut que le chef soit un professionnel", la zone géographique "il ne peut pas être dans la tour Incity", et le décorum "cuivres, nappes à carreaux, verres ballons..." 

Prix de l'adhésion : 130 euros HT annuels avec, en complément, 380 euros pour la plaque émaillée et les tabliers brodés du gnafron. Sans oublier d'ajouter au panier, les nappes à carreaux et tout le décor du bouchon lyonnais, à payer de sa poche.

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A propos des bouchons qui ne font pas partie du label, le MOF précise tout de même : "Cela ne veut pas dire que ceux qui ont refusé d'entrer dans l'association n'ont pas une belle image."

Avant d'ajouter : "On a tous à y gagner, l'association est faite pour venir embellir toutes les choses attractives de la ville."

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Florence Perrier, la vice-présidente, partage cet avis : "Plus on est nombreux, plus on est forts".

S'agissant des réfractaires à l'association, elle trouve ça dommage : "Je les connais tous, je mangeais chez eux quand j'étais petite avec mes parents". Selon elle, le coût onéreux du label est un prétexte. 
"Ils ne sont pas tout
 jeunes et n'ont pas envie de rentrer dans ce système moderne. C'est aussi pour certains un problème d'ego." Florence Perrier estime que l'on peut prolonger la tradition tout en ayant une façon plus moderne de travailler. En revanche, elle ne comprend pas pourquoi Only Lyon n'a pas intégré les autres bouchons à son guide. Elle m'assure leur avoir demandé de le faire plusieurs fois, en vain. 

Un Meilleur ouvrier de France à la tête de l'association, elle trouve ça valorisant :
"Il fait un travail de bouchon lyonnais pas de MOF. Il nous représente à l'étranger, on a tout à y gagner."

D'après elle, ce label contribue à la hausse de la fréquentation de la clientèle étrangère, notamment grâce à la participation de l'association aux différents événements autour de la gastronomie. 

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Un label, instrument de communication ?

Dans le référentiel du label, il est notifié que ce dernier procure "un kit de visibilité" à ses adhérents : le diplôme affiché dans le restaurant, une broderie sur les tabliers des restaurateurs et la plaque "Bouchons lyonnais" sur la devanture. Mais par dessus-tout, "une valorisation dans les outils de communication de l’office de tourisme Grand Lyon et une mise en valeur sur le site bilingue français/anglais lesbouchonslyonnais.org afin de renforcer leur promotion auprès, notamment, des touristes nationaux et internationaux". Les fournisseurs des "Bouchons Lyonnais" se voient, pour certains d'entre eux, décerner du titre de "fournisseur privilégié" se traduisant par un diplôme et une plaque qu'ils peuvent exploiter auprès de leurs clients.

Lorsqu'on se rend à Only Lyon en tant que touriste, c'est en effet la liste des bouchons labellisés et de leurs fournisseurs partenaires qu'on nous donne, sans aucune précision supplémentaire. 

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Le cahier des charges requiert de nombreux critères. L'attitude du personnel est valorisée, notamment l'accueil du client et le suivi pendant la prestation (pour ces deux critères, la maîtrise d'une langue étrangère par le restaurateur est nécessaire). La région doit également être valorisée, par de la documentation sur l’offre touristique locale par exemple. Le menu doit être traduit dans une langue étrangère au moins. Concernant les produits de la table, ils doivent être en majorité lyonnais : saladiers lyonnais, quenelle et tablier de sapeur, andouillette, cochonnaille, plats à base d’abats, pot lyonnais (vin du Beaujolais ou côte du Rhône), cervelle de canut et œufs à la neige aux pralines. Enfin, le lieu de restauration, son bar, ses sanitaires et son extérieur sont pris en compte dans les critères.

Les établissements membres doivent également passer l’audit « maître restaurateur ». 

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Huit critère, 40 spécificités

 

Et ce n’est pas fini, les restaurateurs doivent payer environ 600 euros pour passer l'audit. Avec les frais liés à l'achat de la décoration du restaurant, la note peut être salée. 

On découvre que dans la liste, deux bouchons ont été labellisés à Paris dont un restaurant intitulé Aux Lyonnais, situé rue Saint-Marc dans le 2ème et repris par Alain Ducasse en 2002. Et que le premier membre du réseau d'ambassadeurs censés mettre en valeur l'association n'est autre que le chef New-yorkais 3 étoiles Daniel Boulud. Vous avez dit « tradition lyonnaise » 

Les dirigeants de l'association le savent, la gastronomie est le premier point fort de la destination selon les touristes avec un taux de satisfaction de 96%. En effet, « visiter la ville » et « goûter la gastronomie », sont en tête des intentions d’activités des touristes à Lyon. (Sources: OnlyLyon Tourisme et Congrès et CCILM)

D'importants tours opérateurs internationaux spécialisés tels que Chocolatine (Etats-Unis), Epiculinary (Etats-Unis) ou encore A Taste of Europe (Royaume-Uni), incluent systématiquement Lyon et un repas dans un bouchon dans leurs carnets de voyages. C'est le cas également de grands tours opérateurs internationaux plus généralistes comme Gulliver/Kuoni (clientèle asiatique), Touren Service Schweda (clientèle allemande), etc. Autant de belles occasions pour l'association d'être mis en avant dans le guide Only Lyon, probablement distribué à ces dizaines de milliers de visiteurs.  

Maurice Edmond Saillant, dit "Curnonsky", est le personnage qui attribue à Lyon son titre de gloire de
« capitale mondiale de la gastronomie ». En 1935, lui et Marcel-E. Grancher sont les auteurs d’un ouvrage intitulé Lyon, capitale mondiale de la gastronomie, dans lequel ils exposent le trait majeur de la cuisine lyonnaise, sa simplicité. Qu'en est-il d
es touristes ? Vont-ils se renseigner auprès de l'Office du Tourisme pour choisir un bouchon ? 
D'après les chiffres d'Only Lyon, 475 000 clients ont été reçus dans les bouchons lyonnais en 2016. 
Sur Google Maps, on dénombre 59 bouchons lyonnais dont 27 labellisés. En réalité, on peut comptabiliser environ 150 restaurants ayant "bouchon" sur leur devanture. Les non labellisés souffrent-ils de leur situation ? D'après les restaurateurs interrogés, la fréquentation de leur établissement n'a pas chuté avec l'arrivée du label, au contraire.

Interrogés dans le Vieux Lyon, il semblerait que les touristes se fient davantage à leur instinct ou au bouche-à-oreille pour jeter leur dévolu sur un bouchon.

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